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8 juillet 2014 2 08 /07 /juillet /2014 22:18

J'ai quelque chose à te dire. En fait, c'est plutôt que j'ai quelque chose à dire, mais à qui le dire? Nombre de mes amis pourraient l’entendre (tous?), mais tour à tour je les écarte du champ des possibles, comme j'applique si bien cette règle à toutes mes réflexions ces derniers temps, et je t'écarte aussi, mais l'urgence est de plus en plus urgente, et il me faut bien choisir quelqu'un.
Il me semble que l'étau se resserre. 
J'ai quelque chose à te dire.
Quelque chose ne tourne pas rond au fond de moi. Il y a quelque chose au fond de moi. Quelque chose de sombre et d'ombres. C'est au fond de moi. Depuis toujours. 

Je me souviens. J'avais quatre ans. Impossible de m'intégrer dans l’espace de cette cour de maternelle. J'étais seule. J'étais seule parce que je me sentais différente. Je me souviens avec une exactitude cousue au profond de mes chairs de ces sentiments mélangés qui devaient m'habiter depuis lors. Je me souviens avec exactitude que j'avais l'impression d'être spectatrice de ma propre désespérance, un recul qui, dans mon esprit d'enfant recouvert de la pâte à sucre de l'imaginaire, me faisait penser que j'étais dotée d'une faculté extraordinaire qui me permettait de me regarder depuis l'extérieur, ce que mon corps, et mon cerveau qui y vivait, faisaient ensemble dans le petit cadran de ma vie. Ce qui me faisait conclure logiquement que si une partie supérieure de moi me faisait voir depuis plus haut mon sous-fifre terrestre que j'étais moi même, c'est que je ne faisais pas partie de la vie normale de fourmis organisées à  laquelle on me faisait croire que j'appartenais. Je me souviens avec exactitude que j'avais déjà parfaitement conscience de mon sentiment de différence. Ce n'était pas une question. C'était une évidence. Une évidence comme les enfants en ont le secret. Je savais. Je savais que j'étais différente. Parce que je ne regardais rien comme les autres. Et jamais je ne serai des leurs. Je savais que ce n’était pas une chance, je savais que c’était un poids.
Je ramassais en cachette les fragments de papier aluminium dans les rainures des grilles qui emprisonnaient les racines des arbres de la cour, résidus brillants des goûters sucrés des enfants. Je mâchouillais le papier et sentais mes dents crisser contre les petites boules durcissant étrangères à l'espace de ma bouche. Des petits corps étrangers dans mon espace. Comme mon petit corps étranger dans l'espace de la cour d'école. Je me souviens du gout du métal. 
J'avais quatre ans. Étaient ce des pensées d'enfant? Je ne le sais toujours pas. 

Je me souviens que j'étais différente. Mais ce dont je me souviens, c'est qu'il y avait déjà cette chose au fond de moi. Il y avait déjà cette boule de sombre et puis d'ombres.  J'ai quelque chose à te dire. J'avais quatre ans et le couteau tranchant du désespoir s'enfonçait déjà en moi avec le même élancement aigu et insoutenable qu'aujourd'hui. Mes cris étaient dès lors déchirants. 

Personne ne savait. Qui aurait pu? Moi même, je savais déjà tant de moi mais je ne savais pas. Je savais que j'étais différente, mais je ne savais pas que tout le monde ne souffrait pas du désespoir lancinant. Je pensais que nous faisions tous avec. Que c'était les affres de la condition humaine et qu'il me fallait apprendre à vivre avec. Comme on vit sans nageoires. Comme on mange, comme on respire. J'admettais qu'il fallait m'en accommoder. Comme on admet qu'il faut dormir, boire et manger, et apprendre à nager dépourvu de nageoires. J'apprendrai à vivre avec mon désespoir, comme tout un chacun. Je n'avais connu que ça, comment aurais je pu savoir? Alors qui aurait pu savoir si moi même n'en faisais pas cas?
Je n’étais pas une enfant triste. Ni dérangée ni très bizarre. Enfin pas trop je crois. J'étais une enfant introvertie,  mais il ne semble pas au point maladif qui devait alerter quelqu'un. Ma différence passait inaperçue sous le masque de ce qu’on appelait timidité. Et sous le joug de la confiance en l'adulte qu'à l’enfant; enfant qui nait aveugle et qui n'apprend à voir que parce qu'il quitte l'enfance, et qui ne voit jamais car alors il n'est plus enfant; j'ai cru que je grandirai ainsi avec cette bosse qu'on m'appelait timidité. Mais je ne la comprenais pas, je ne la sentais pas mienne. Son concept m'était si inappréhendable, alors que pourtant je palpais si bien mon insaisissable différence et ma boule de désespoir. J’aurais dû comprendre… Mais comment aurais je pu ? J’avais quatre ans.
J'avais quatre ans. Et je m'en souviens avec une exactitude déconcertante. Quel enduit d'adulte a donc recouvert la vérité de ces quatre ans? Impossible à évaluer.

Et peu importe. Car aujourd'hui voilà ce que je sais comme une vérité pour moi. Il y a quelque chose au fond de moi. Quelque chose qui vit au fond de moi depuis toujours, dont j'avais conscience à 4 ans.  C'est une boule que j'ai mâchouillé pour lui permettre de vivre au fond de moi. C'est une boule d'un désespoir immense et intense, dont la douleur écraserait atrocement qui penserait pouvoir la mesurer. C'est ma douleur. Mon spleen, mon mal de vivre, mon âme en peine.

J'habite mon désespoir. Je suis mon désespoir. J'ai longtemps cru que je l'avais ramassé comme une boulette froissée d'aluminium, et qu'il me suffirait d'arriver à le recracher après l'avoir imprégnée de ma salive. Mais je me trompais. Je me trompais aux croyances que l'on m'a dressées. Il faut que tu comprennes. Il y a quelque chose au fond de moi. Mais ce n'est pas un corps étranger. C'est moi. Mon désespoir, c'est moi. Il faut que tu comprennes. J'ai quelque chose à te dire. Il y a quelque chose au fond de moi. Il y a quelque chose au fond de moi, une boule de sombre et d'ombres, il y a quelque chose au fond de moi, depuis toujours, j'ai quelque chose à te dire, il y a quelque chose au fond de moi: c'est moi. 

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commentaires

P
Et aujourd'hui, comment vas tu ?
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P
C'est un superbe texte. Tu racontes bien comment c'est au fond de chacun de nous.
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M
un billet habité! j'habite le fond du billet, qui est moi, enfin toi...<br /> de toi à moi, ce n'est pas si sombre que ça en a l'air, le spleen n'est pas que mal, c'est de l'nrj molle... ça n'a qu'un temps... celui de trouver l'ouverture, là-haut... hé, juste tu lèves la<br /> tête, et hop, ça remonte tout seul...<br /> on ne pense jamais à lever la tête et à regarder le soleil passer entre les branches...<br /> tout chaud, tout beau<br /> doux bisous
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